Inventaire des heures



Nous avons perdu l'habitude des gestes simples
des mêmes choses recommencées
une main qui borde le lit
couvre l'épaule nue dans la chambre froide
un regard qui s'attarde
compte les pétales un à un tombés à terre
et l'eau versée au café qui passe lentement
le vieux râteau poussif abandonné dans l'herbe
autre temps à l'effort enraciné dans le rythme
du vent et du soleil
(photo Félix Arnaudin, moissonneurs, 27 juiln 1892, fond Musée Aquitaine)



[ Je ne sais s'il faut que je te le dise
   toi, qui vient peut-être lire là]

Il est des choses vieilles, de belles histoires
qui n'intéressent personne sauf moi,
des choses qui m'ont fait grandir le cœur
des traces que seule je peux voir.
Il a fallu monter les yeux toujours plus haut
faciliter le sommeil, dissoudre l'amer
et elles sont venues, ont sorti leurs murmures. 
Ce ne sont pas des choses qui te changent
non, elles te donnent juste un peu de relief
un reflet l'espace d'un instant.

(reflet de la vague passée, imaginée ? )


Souvent, les pas ne mènent nulle part... Non, parce que le chemin est flou ou effacé, mais parce qu’ils nous portent et dépendent de nos invisibles énigmes.
[(...)
Tout passe et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins 
Des chemins sur la mer
Antonio Machado
citation Christian Ugolini]



La nuit est noire d’encre striée d’averses brutales. La voiture roule depuis longtemps sans croiser un seul phare. La tête penchée contre la vitre vibre au rythme des cahots, elle tutoie ce paysage à peine aperçu, laisse les yeux suivre les gouttes qui glissent en tremblotant. Deux minuscules larmes horizontales emportées. Attraction, répulsion, et brusquement fusion. De leur poids cumulé dépend la chute brutale, leur disparition dans l’ombre.

Sur les joues, deux petits filets silencieux s’échouent témoins de cette tragique fin. La peau murmure au souvenir de ces êtres obstinément attirés que la rencontre abat. Au risque de troubler la nuit, la bouche fredonne cette passacaille depuis trop longtemps enlisée au creux d’un chemin.

Le temps prisonnier n’en finit pas d’effilocher les souvenirs sur la route sombre sans boire une goutte, sans halte, une fuite.


  Musée Guimet 20/02/17
Construire, c'est collaborer avec la terre : c'est mettre une marque humaine sur un paysage qui en sera modifié à jamais.
Marguerite Yourcenar - Mémoires d'Hadrien

A quoi bon partager le partage du partage à l'infini.
Je sature face aux redondances et aux excès de textes et d'images.
Je n'entends pas ou plus mon rôle de "passeur" dans dans ce fouillis de réactions instantanées et jouissives.
Ce que j'aime ne doit pas céder à la facilité du passage facile, tout doit se mérite, tout s'espère et se conquiert, les mots, les images, les êtres.
Tout doit se construire lentement.


Le nô se rapproche d’une série de tableaux en mouvement, où se mêlent simplicité et raffinement. Il peut mettre ainsi en exergue, à la manière dont le raconte Tanizaki Junichirô, l’imposante et majestueuse « démarche de ces vétérans des antiques champs de bataille lorsque, avec leurs visages burinés par le vent et la pluie, tout noirs avec les pommettes saillantes, ils revêtaient ces capes, ces robes d’apparat, ces costumes de cérémonie de semblables couleurs, ruisselants de lumière [7][7] J. Tanizaki, Éloge de l’ombre, traduit du japonais... ». Se pose dès lors un espace visuel qui réussi opère comme un piège à regard. Le spectateur change de point de vue grâce au jeu qui rétroactivement concrétise la jouissance liée au fait de voir l’œuvre artistique comme la représentation éclatante du fantasme. Aussi, notre auteur japonais précise : « Je suis persuadé que tous ceux qui prennent plaisir à voir du nô se complaisent, dans une certaine mesure, à des associations d’idées […], et trouvent une rétrospective délectation, tout à fait étrangère au jeu de l’acteur [8][8] Ibid., p. 70.. » Disons que le nô, au-delà de ses thèmes incluant la piété filiale, l’amour, la jalousie, la vengeance et l’esprit des samouraïs, provoque un plus-de-jouir [9][9] Lacan fait découler ce concept à partir de la plus-value... chez le spectateur parce qu’il donne matière à se reconnaître. Tel est le cas parce que les interprètes expriment par leur jeu quelque chose du fantasme universel, c’est-à-dire quelque chose que chacun souhaite pouvoir dire sans y parvenir.

[in https://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2011-2-page-33.htm]


Aime ce jour, cette nuit

et tout ce qui vient trop tard...
Ainsi se rencontrent les saisons.
*
L'évidence m'est nomade.
*
Nomade, comme l'inutile
intempérie du cœur...
*
D'inconsolables sabliers,
d'inguérissables vides.



Emmanuel Dall'aglio


Commentaires

  1. En faisant l'inventaire de toutes ces lenteurs d'antan, ces gestes, répétés, cette façon de vivre, je me dis que le land art m'a donné cette qualité de vie, que j'ai élevé à l'art de vivre. Je ne regrette rien.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il y aurait à dire, à duscuter... Moi non plus, je ne regrette rien

      Supprimer
  2. ni rien ni m'être nomade no cry et ces fameux chemins qui ne mènent nulle part ailleurs qu'une clairière bûcheronnée de belles lueurs à vos heures

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

A lire ou relire

pas d'inquiétude

on ne va pas se genêt

allée et venue

presque inaperçu

l'art du point de jour