Poème à la lueur du matin 2
Sa beauté
J'ai fermé saison accroché au balcon
saisi de vertige au-dessus des arbres.
J'ai survolé la brûlure des amours passées
leur odeur de pomme volée au couchant.
Nos espoirs cramaient
sur l'autel décati
des aubes sacrificielles
quand le désir attaquait
nos chairs vierges.
Un pan de ciel s'écroule en mémoire.
J'aurai cherché ma vie la tête en bas.
******
Nous rêvons d'une terre bleue,
Nous frottons notre peau
On voudrait jardiner ce bleu,
Jean-Michel Maulpoix Une histoire du bleu
Anlatamıyorum
Ağlasam sesimi duyar mısınız,
Mısralarımda;
Dokunabilir misiniz,
Gözyaşlarıma, ellerinizle?
Bilmezdim şarkıların bu kadar güzel,
Kelimelerinse kifayetsiz olduğunu
Bu derde düşmeden önce.
Bir yer var, biliyorum;
Her şeyi söylemek mümkün;
Epeyce yaklaşmışım, duyuyorum;
Anlatamıyorum.
Pouvez-vous entendre ma voix
Dans ma poésie
Si je pleure
Pouvez-vous toucher mes larmes
De vos mains
J’ignorais que les chansons étaient si belles
Et les mots si pauvres
Avant de sombrer dans un tel chagrin
Je sais qu’il existe un endroit
Où tout peut être dit
Je m’en approche, je le sens;
Mais ne peut l’expliquer
n’est que du temps compressé, artifice
mental n’effaçant ni la fluide ténacité,
ni la fatigue floue d’un secret remous.
Sentimento del tempo, pure merveille
d’un tragique écoulement amoureux.
******
Dans une petite ville,
Aux éternels crépuscules,
Aux éternels carillons.
Le tintement grêle
D’une pendule ancienne – goute à goutte de temps –
Et parfois, le soir, montant de quelque mansarde –
Une flûte,
Et le flûtiste lui-même à la fenêtre.
Et de grandes tulipes sur les fenêtres.
Et peut-être ne m’aimeriez même pas...
******
avec les premières étoiles
qui tombent dans nos yeux
déjà mortes elles rajeunissent
chaque nuit sur les toits de la ville
sur les champs au-dessus des forêts
mais nous ne pouvons dire
ce qu'elles changent en nous
et font éclore dans notre sommeil
au matin elles ne sont plus
que des graines avalées
par les oiseaux nocturnes
alors nous ne pouvons dire avec des mots
ce qu'elles semblaient connaître de nous
même si nous sommes maintenant
ce qu'elles verront désormais
Alors (Upéramo, Entonces)
Quand s’ouvre la porte
du paradis,
quand s’ouvre avec grand bruit
la porte du paradis,
quand toutes les fleurs
s’envolent,
quand le colibri et le jaguar
se donnent la main,
quand le soleil ferme les yeux
et laisse la lune
le prendre par la main,
quand le torrent couvre
l’herbe d’émeraudes
et les grains de maïs
deviennent de l’or,
alors, seulement alors,
quand s’ouvre la porte
du paradis…
Roulette russe
Le Temps, le doigt sur la gâchette,
joue, face à l'absence,
à la roulette russe avec les mots
— et les silences en alternance.
Qu'est-ce qui nous attend ?
Des paroles creuses, à blanc ?
Un vide muet ?
Ou bien
Un silence lourd comme du plomb ?
Temps, presse la gâchette !
Jusqu'à ce que tombe — sanglante —
la vérité
au fond des impressions, exhalant
le dernier soupir — maladif —
de la liberté.
Marìa Patakia — Arpenteurs du temps
Peu avant minuit
elle revêtait une peau rouge épaisse,
coiffait ses cheveux
ouvrait la fenêtre dans la maison intérieure
et la nuit affluait.
«Rien ne se fait par hasard, me disais-je,
rien», et je me levais le matin
la mâchoire douloureuse.
Mihàlis PAPANDONÒPOULOS
Épousseter
Je rends la mémoire aux choses.
Le bois et le verre
sentent mon amour et resplendissent.
Même le chiffon sur le fil du balcon, je m’y intéresse
ainsi lavé, me dis-je, il doit
se souvenir de la Béotie
aux plaines cotonneuses.
Ménagère, étoffe sur étoffe
la poussière me macadamise
je recule
à tel point
que tête
et jambes
et vêtements
s’enfuient sans ordre vers l’absence.
Athina Papadàki Trad Michel Volkovitch
Un tourment
Mon premier âge inoubliable, je le vécus
près du bord du rivage,
là-bas à la mer au fond plat, sereine,
là-bas à la mer immense, si large.
Et toutes les fois que devant mes yeux surgit
la fleur de mon jeune âge,
que je vois les rêves, entends les palabres
de mon premier âge au bord du rivage,
tu gémis mon cœur le même gémissement :
qu’à nouveau je revienne
là-bas à la mer immense, si large,
là-bas à la mer au fond plat, sereine.
À moi, mon don est un, à moi, un est mon destin,
d’autre je n’eus partage :
une mer en mon sein comme un lac doux drapé
et comme un océan grand, béant au large.
Et là ! Voilà qu’au profond de mon somme,
le songe me ramène
là-bas à la mer immense, si large,
là-bas à la mer au fond plat, sereine.
Et moi, trois fois hélas ! Un tourment me tourmente,
et un tourment sauvage
que tu n’apaises pas, contemplation sublime
de mon premier désir, mon beau rivage !
quel soi-disant tracas me tracassait
en moi quel tourbillon,
que tu ne m’aies ni endormis ni apaisés,
du rivage sublime contemplation ?
c’est un tourment sans mots, tourment inexplicable,
un tourment bien sauvage,
ce tourment invincible même au paradis
de notre premier âge près du bord du rivage.
Kostis Palamas, Καημοὶ τῆς Λιμνοθάλασσας, 1912
Les plus beaux paysages
Les plus beaux paysages se bâtissent le soir
derrière les trains qui s’évadent
les plus belles lunes
tombent dans le lac au même moment
pourtant toute délivrance me vient de toi
de tes paupières fatiguées et de tes pâles
baisers qui préservent rigoureusement notre solitude
tu te tournes toujours vers moi debout
même les jours qui tombent dans la caverne
du sombre mutisme
et dans les minutes dérobées à la lumière
ici où les rivières ravinent les berges privées de parole
et pour demain les maisons se feront vieilles
******
La mission de la poésie
Le poème dérive comme un détritus dans l'océan de la langue :
une feuille d'olivier, une bouteille de vin vidée, un condom usagé.
L'illusion, un soir parmi des amis et l'acte d'amour doit être prouvé.
La poésie est un besoin.
PS :
Un pneu de voiture aussi, et une centrale nucléaire abandonnée.
Pentti HOLAPPA- Sur la peau du tambour
******
Il fait nuit
Tu t'en iras quand tu voudras
Le lit se ferme et se délace avec délices comme un corset de velours noir
Et l'insecte brillant se pose sur l'oreiller
Éclate et rejoint le Noir
Le flot qui martèle arrive et se tait
Samoa la belle s'endort dans l'ouate
Clapier que fais-tu des drapeaux ? tu les roules dans boue
A la bonne étoile et au fond de toute boue
Le naufrage s'accentue sous la paupière
Je conte et décris le sommeil
Je recueille les façons de la nuit et je les range sur une étagère
Le ramage de l'oiseau de bois se confond avec le bris des bouchons en forme de regard
N'y pas aller n'y pas mourir la joie est de trop
Un convive de plus à la table ronde dans la clairière de vert émeraude et de heaumes retentissants près d'un monceau d'épées et d'armures cabossées
Nerf en amoureuse lampe éteinte de la fin du jour
Je dors.
Robert DESNOS chez Nuagesneuf
******
une chanson… une peinture
la photographie d’un détail
révélant la masse invisible de l’ensemble
le portrait évanoui de l’oubli
s’imprime et prime à nouveau
un visage rond au regard caché
d’une frange avalant la brillance
d’un sourire discret mais inaliénable
d’un désir camouflé par la distance
cette femme aimée même si
cet amour n’a jamais existé réellement
on se raccroche à des branches oui
des branches comme des lianes chasseresses
un javelot dans le chœur
ça ne rime à rien
on croit s’être / avoir égaré
non… tout et tous restent
on croit même sentir le parfum
qu’on n’a jamais senti
un fantôme de chair et de sang
parce que moi-même hyalin
le temps passe à travers mon corps
quand le temps se grave aussi sur mon être
dualité antinomique seulement en apparence
entre possession et dépossession de soi
Las de tous ceux qui viennent avec des mots,
des mots mais pas de langage,
je partis pour l’île recouverte de neige.
L’indomptable n’a pas de mots.
Ses pages blanches s’étalent dans tous les sens !
Je tombe sur les traces de pattes d’un cerf dans la neige.
Pas des mots, mais un langage.
Tranströmer - Baltiques
Les mots que tu écoutes t’effleurent à peine.
Il y a sur ton calme visage une pensée limpide
Qui suggère à tes épaules la lumière de la mer.
Il y a sur ton visage un silence qui oppresse
Le cœur, sourdement, et distille une douleur antique
Comme le suc des fruits tombés en ce temps-là.
******
Lent, si lent, le vent
qui naît des collines ;
lent, si lent, le vent
qui trouble ce silence ;
Lent, si lent – qu’à peine
se dérangent les feuilles
en nid réunies
dans la paix des cimes,
et que le pollen
n’est encore que songes
de formes florales
aux pattes des abeilles…
Apaisante rupture
dans l’espace et le temps ;
la vie est toute entière
sculptée en son ombre,
et je la découvre,
et je perçois – comme
entre deux sommeils –
ses fables, ses rêves.
Jean-Joseph Rabearivelo
******
Je me souviens
Je me souviens
D’ombres plus denses que le plomb
Des regards impassibles
De rivières fourbues
De maisons rongées
De cœurs blanchis
D’hirondelles torpillées
Et de cette femme hagarde
sous l’explosion des armes.
Je me souviens
Du tumulte des sèves
De l’envolée des mots
De plaines sans discorde
Des chemins de clémence
Des regards qui s’éprennent
Et de ces beaux amants
sous les feux du désir
De tout ceci
De tout cela
Je me souviens
Et me souviens.
Andrée Chedid
Devant l'île Bourbon
A l'heure où la nuit sent si bon
Qu'elle vous troublait l'âme.
(Ô monts, ô barques balancées
Sur la lueur des eaux,
Lointains appels, plaintes d'oiseaux
Étrangement lancées.)
... Au retour, je vous vis descendre
L'écumeux barachois,
Dans les bras d'un nègre de choix :
Virgile, ou Alexandre.
Qu’il n’ait pas plus longtemps survécu à l’orage
Qu’il n’ait pas plus longtemps survécu à l’orage
importe peu
seuls comptent désormais les senteurs revenues
le souvenir d’une fugace canopée qui déployait
ses voiles dans le haut des étoiles
pour nous permettre d’accoster aux premières lueurs
on aurait plus rêver de plus étranges plages
de sables déroulés de roches inconnues
mais plus rien n’arrêtait cette montée de la nuit devinée
le foisonnant vivier d’une ultime mangrove
cette présence de coraux illusoires
ce point de vie
où rien ne compte
si ce n’est d’écouter un cœur où s’égrène le temps.
******
C’est ainsi que nous nous sommes séparés,
Sans tendre les mains l’un vers l’autre,
Disparaissant telle une chose inachevée.
Une cigarette.
Une limonade.
Car tu n’es pas devenue mienne.
À moi l’étranger, tu n’as pas donné tout ton amour
À l’instar des nuages
Qui ne lâchent jamais sous les tropiques
Leur neige immaculée
Mais au Nord l’offrent un jour.
les ombres dansent un slow
le coeur étouffe
un bâillement
assise seule
dans un coin
elle écrit toujours
ce qui la déchire
puis déchire
ce qu'elle écrit
derrière la porte
de derrière
de l'hôtel mort
l'étanchéité du gel,
de la forme,
fantômes de pénombre,
squelettes de brume
arrachés à la terre.
L'hôtel est mort à soir
dehors non plus
il n'y a personne
de vivant.
Denis Samson © 2014
Voilà le dialogue de l'eau et de l'herbe tard le soir avant la pluie,
quand l'eau chuchote aux rames ses secrets
quand l'arôme du bois et de l'herbe ont noué une union
avec d'autres matières, c'est un accord dans un parfum connu,
accord de la voix : le cri rauque et perçant de l'hirondelle
est noué avec la joie de l'hirondelle, où s'unissent légèreté, ardeur et appel narquois,
des cris enthousiastes jouent et tombent du ciel,
mais l'aile frôle l'eau et appelle la pluie,
sur la rive les feuilles claquent, tit, tat,
et le soleil est fatigué et plonge sa couleur dans l'eau,
la nuit vient, le calme murmure dans les joncs,
un nuage file sans voix, la forêt bruit,
la pluie tourne autour de la lande, tend ses souples tambours.
Eeva-Liisa MANNER
Je ne cultive pas mon jardin en profondeur
J'essaie d'épuiser la surface et c'est pourquoi
je fais pousser des pas.
Lorsque l'attente est dépouillée de tout espoir
que reste-t-il ?
Une présence durable.
Évidemment, pour être présent sans cesse,
il faut apprendre à être absent.
Moi j'ai choisi une robe blanche.
D'autres ont inventé
divers instruments pour disparaître :
une tenue d'apiculteur, mettons.
D'autres encore, encadrés par un châssis de fenêtre
sont restés sans bouger.
Cela semble statique mais non.
La faute à la durée qui cristallise.
Le mécanisme :
Vibration
Abandon
Confiance
Disparition
Joie
Pas dans cet ordre
Et sans le sentiment
Souvenirs
Voyez partir l’hirondelle,
Elle fuit à tire d’aile,
Mais revient toujours fidèle,
A son nid,
Sitôt que des hivers le grand froid est fini.
L’homme, au gré de son envie,
Errant promène sa vie
Par le souvenir suivie
De ces lieux
Où sourit son enfance, où dorment ses aïeux.
Et puis, quand il sent que l’âge
A glacé son grand courage,
Il les regrette et, plus sage,
Vient chercher
Un tranquille bonheur près de son vieux clocher.
Guy de Maupassant
De la parole
Cet enfant que je fus s'en vint à moi
Une fois,
Inconnu son visage.
Il ne dit mot, nous cheminâmes
Chacun fixant l'autre en silence, nos pas
Rivière s'en allant, inconnue.
Des racines nous ont réunis, au nom de ces feuilles qui voyagent dans le vent
Nous nous sommes séparés,
Forêt écrite par la terre, contée par les saisons.
Toi l'enfant que je fus, approche :
Quoi, désormais, pour nous unir, et que nous dire ?
Adonis, De la parole, In Mémoires du vent.
Yeux ouverts des maisons clignant dans l'ombre claire,
Bouge aux yeux avinés, hospice aux yeux jaunis,
Maisons pleines d'horreur, de douceur, de colère,
Où le crime a sa bauge, où le rêve a ses nids.
Sous le fardeau d'un ciel qui n'est plus tutélaire,
Maisons des poings levés, maisons des doigts unis ;
Les globes froids des nuits sous l'orbite polaire
Roulent moins de secrets dans leurs yeux infinis.
Emportés çà et là au gré des vents contraires,
Vous vivez, vous mourrez ; je pense à vous, mes frères,
Le pauvre, le malade, ou l'amant, ou l'ami.
Vos cœurs ont leurs typhons, leurs monstres, leurs algèbres,
Mais nul, en se penchant, ne voit dans vos ténèbres
Graviter sourdement tout un monde endormi.
Marguerite Yourcenar
******
Le fait-divers inutile
Dans la nuit complexe, le paysage de ce quartier de gare,
à lui seul pose une énigme.
Et l’homme à la cigarette attendant au bord du trottoir
et le policier déguisé, qui guette derrière la vitre du petit café,
se croyant sur la piste sûre, sont presque inutiles.
Tant l’énigme que pose ce quartier de gare paraît se suffire à elle-même.
Marcel LECOMTE, Le Vertige du réel.
Terre de chair
Il s’agit d’un très vaste espace et ce que l’on voit maintenant est une femme étendue au milieu du monde.
C’est la tête, le corps et ce sont les bras et les mains. Les jambes et les pieds sont cachés sous une hauteur à droite.
Au-dessus quelque ville repose, étagée.
Mais ce paysage ne se montre pas à tous.
Il convient de le lire avec lenteur.
Marcel LECOMTE, Le Vertige du réel.
Il y a sur ton calme visage une pensée limpide
Qui suggère à tes épaules la lumière de la mer.
Il y a sur ton visage un silence qui oppresse
Le cœur, sourdement, et distille une douleur antique
Comme le suc des fruits tombés en ce temps-là.
Cesare Pavese
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La mer en bouche
Un jour quelqu'un enlève le sourire gravé
sur ma peau comme une cicatrice
quelqu'un accepte le flou du derme, des termes
mon visage mouvant comme la mer
un jour quelqu'un m'aime
et embrasse au delà des lèvres
au delà des dents
jusqu'au plus profond de ma mâchoire
jusqu'à la moelle
quelqu'un voit
ma petite âme
et la lèche
dans le salé d'une larme
dans la sueur sur l'aile d'une narine
dans le flot d’humeurs dans la gorge
un jour quelqu'un m'aime
pour ce que je sécrète
De ces maisons
il n’est resté
que quelques
moignons de murs
De tant d’hommes
selon mon cœur
il n’est pas même
autant resté
Mais dans le cœur
aucune croix ne manque
C’est mon cœur
le pays le plus ravagé
Giuseppe Ungaretti, Vie d'un homme
Je crois encore me souvenir du premier jour où j'emplis mes bras de ces jasmins blancs !
J'ai aimé la lumière du soleil, le ciel et la terre verte.
J'ai entendu le murmure argentin de la rivière dans l'obscurité de minuit.
L'automne et les couchers de soleil sont venus à ma rencontre au tournant d'un chemin,
dans la solitude, comme une fiancée qui lève son voile pour accueillir son bien-aimé.
Cependant, ma mémoire reste parfumée de ces premiers jasmins blancs que j'ai tenus dans
mes mains d'enfant.
Rabindrah Tagore
******
Ta maison
Je ne peux pas l’exprimer
Entendriez-vous ma voix si je pleure
Dans mes vers ?
Pourriez-vous toucher
Mes larmes, avec vos mains ?
J’ignorais que les chants étaient si beaux
Et les mots insuffisants
Avant d’être dans cette peine.
Il y a un lieu, je sais,
Où dire le tout est possible ;
Je suis si proche, je sens ;
Je ne peux pas l’exprimer
Lettres à un jeune poète, le manifeste poétique de Rilke
Ses seins sont des pommes d’amour,
Ses bras sont des étaux,
Son front est le cerceau de l’acacia
Et moi je suis l’oie sauvage.
Mes regards montent vers sa chevelure, un appât,
Et je suis pris dans le piège.
Chants d’amour de l’Egypte ancienne
éditions La Table Ronde
Une maison dans Húsvallagata
Je rêve, je rêve
de la gloire du jour écoulé,
ces mots mystérieux,
ce rire sombre,
cette blanche lumière
qui ruisselait parmi la rue,
cette blanche lumière.
Mon œil regardait
deux mains jaunies par la vieillesse.
Et un petit enfant pauvre
aux lèvres bleues
me sourit par-dessus le mur de l’enclos.
J’ai avalé une fameuse gorgée de poison. – Trois fois béni soit le conseil qui m’est arrivé ! – Les entrailles me brûlent. La violence du venin tord mes membres, me rend difforme, me terrasse. Je meurs de soif, j’étouffe, je ne puis crier. C’est l’enfer, l’éternelle peine ! Voyez comme le feu se relève ! Je brûle comme il faut. Va, démon !
J’avais entrevu la conversion au bien et au bonheur, le salut. Puis-je décrire la vision, l’air de l’enfer ne soufre pas les hymnes ! C’était des millions de créatures charmantes, un suave concert spirituel, la force et la paix, les nobles ambitions, que sais-je ?
Les nobles ambitions !
Et c’est encore la vie ! – Si la damnation est éternelle ! Un homme qui veut se mutiler est bien damné, n’est-ce pas ? Je me crois en enfer, donc j’y suis. C’est l’exécution du catéchisme. Je suis esclave de mon baptême. Parents, vous avez fait mon malheur et vous avez fait le vôtre. Pauvre innocent ! – L’enfer ne peut attaquer les païens. – C’est la vie encore ! Plus tard, les délices de la damnation seront plus profondes. Un crime, vite, que je tombe au néant, de par la loi humaine.
Tais-toi, mais tais-toi !… C’est la honte, le reproche, ici: Satan qui dit que le feu est ignoble, que ma colère est affreusement sotte. – Assez !… Des erreurs qu’on me souffle, magies, parfums, faux, musiques puériles. – Et dire que je tiens la vérité, que je vois la justice: j’ai un jugement sain et arrêté, je suis prêt pour la perfection… Orgueil. – La peau de ma tête se dessèche. Pitié ! Seigneur, j’ai peur. J’ai soif, si soif ! Ah ! l’enfance, l’herbe, la pluie, le lac sur les pierres, le clair de lune quand le clocher sonnait douze… le diable est au clocher, à cette heure. Marie ! Sainte-Vierge !… – Horreur de ma bêtise.
Là-bas, ne sont-ce pas des âmes honnêtes, qui me veulent du bien… Venez… J’ai un oreiller sur la bouche, elles ne m’entendent pas, ce sont des fantômes. Puis, jamais personne ne pense à autrui. Qu’on n’approche pas. Je sens le roussi, c’est certain.
Les hallucinations sont innombrables. C’est bien ce que j’ai toujours eu: plus de foi en l’histoire, l’oubli des principes. Je m’en tairai: poètes et visionnaires seraient jaloux. Je suis mille fois le plus riche, soyons avare comme la mer.
Ah ça ! l’horloge de la vie s’est arrêtée tout à l’heure. Je ne suis plus au monde. – La théologie est sérieuse, l’enfer est certainement en bas – et le ciel en haut. – Extase, cauchemar, sommeil dans un nid de flammes.
Que de malices dans l’attention dans la campagne… Satan, Ferdinand, court avec les graines sauvages… Jésus marche sur les ronces purpurines, sans les courber… Jésus marchait sur les eaux irritées. La lanterne nous le montra debout, blanc et des tresses brunes, au flanc d’une vague d’émeraude…
Je vais éveiller tous les mystères: mystères religieux ou naturels, mort, naissance, avenir, passé, cosmogonie, néant. Je suis maître en fantasmagories.
Écoutez !…
J’ai tous les talents ! – Il n’y a personne ici et il y a quelqu’un: je ne voudrais pas répandre mon trésor. – Veut-on des chants nègres, des danses de houris ? Veut-on que je disparaisse, que je plonge à la recherche de l’anneau ? Veut-on ? Je ferai de l’or, des remèdes.
Fiez-vous donc à moi, la foi soulage, guide, guérit. Tous, venez, – même les petits enfants, – que je vous console, qu’on répande pour vous son coeur, – le coeur merveilleux ! – Pauvres hommes, travailleurs ! Je ne demande pas de prières; avec votre confiance seulement, je serai heureux.
– Et pensons à moi. Ceci me fait peu regretter le monde. J’ai de la chance de ne pas souffrir plus. Ma vie ne fut que folies douces, c’est regrettable.
Bah ! faisons toutes les grimaces imaginables.
Décidément, nous sommes hors du monde. Plus aucun son. Mon tact a disparu. Ah ! mon château, ma Saxe, mon bois de saules. Les soirs, les matins, les nuits, les jours… Suis-je las !
Je devrais avoir mon enfer pour la colère, mon enfer pour l’orgueil, – et l’enfer de la caresse; un concert d’enfers.
Je meurs de lassitude. C’est le tombeau, je m’en vais aux vers, horreur de l’horreur ! Satan, farceur, tu veux me dissoudre, avec tes charmes. Je réclame. Je réclame ! un coup de fourche, une goutte de feu.
Ah ! remonter à la vie ! Jeter les yeux sur nos difformités. Et ce poison, ce baiser mille fois maudit ! Ma faiblesse, la cruauté du monde ! Mon dieu, pitié, cachez-moi, je me tiens trop mal ! – Je suis caché et je ne le suis pas.
C’est le feu qui se relève avec son damné.
Arthur Rimbaud, Nuit en enfer
La feuille de papier blanc et le parfum de ta peau
sont assez de matière pour un poème immortel.
La feuille de papier blanc, le parfum de ta peau
sans crier gare se dissipent dans le ciel.
Pentti Holappa - Traces de doigts dans le vide
Juan Gelman
Roberto Fernandez Retamar, Historia antigua
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Idilio (Idylle)
Federico García Lorca
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Art poétique
Se pencher sur le fleuve, qui est de temps et d’eau,
Et penser que le temps à son tour est un fleuve,
Puisque nous nous perdons comme se perd le fleuve
Et que passe un visage autant que passe l’eau.
Éprouver que la veille est un autre sommeil,
Qui rêve qu’il ne rêve pas et que la mort
Que redoute le corps est cette même mort
De l’une et l’autre nuit, que l’on nomme sommeil.
Percevoir dans le jour ou dans l’an un symbole
Des jours, des mois de l’homme ou bien des années,
Et pourtant convertir l’outrage des années
En une musique, une rumeur, un symbole.
Dans mourir, voir dormir ; dans le soleil couchant
Voir un or funèbre : telle est la poésie,
Qui est immortelle et pauvre. La poésie
Qui revient comme l’ aube et comme le couchant.
De temps en temps le soir, il émerge un visage
Qui soudain nous épie de l’ombre d’un miroir ;
J’imagine que l’art ressemble à ce miroir
Qui soudain nous révèle notre propre visage.
On nous a dit qu’Ulysse, fatigué de merveilles,
Sanglota de tendresse, apercevant Ithaque
Modeste et verte. L’art est cette verte Ithaque,
Verte d’éternité et non pas de merveilles.
L’art est encore pareil au fleuve interminable
Qui passe et qui demeure et qui reflète un même
Héraclite changeant, qui est à la fois même
Et autre, tout comme le fleuve interminable.
Traduit de l’espagnol par Roger Caillois
In Jorge Luis Borgés « L’Auteur et autres textes : El hacedor »
Arte Poética
Mirar el río hecho de tiempo y agua
Y recordar que el tiempo es otro río,
Saber que nos perdemos como el río
Y que los rostros pasan como el agua.
Sentir que la vigilia es otro sueño
Que sueña no soñar y que la muerte
Que teme nuestra carne es esa muerte
De cada noche, que se llama sueño.
Ver en el día o en el año un símbolo
De los días del hombre y de sus años,
Convertir el ultraje de los años
En una música, un rumor y un símbolo,
Ver en la muerte el sueño, en el ocaso
Un triste oro, tal es la poesía
Que es inmortal y pobre. La poesía
Vuelve como la aurora y el ocaso.
A veces en las tardes una cara
Nos mira desde el fondo de un espejo;
El arte debe ser como ese espejo
Que nos revela nuestra propia cara.
Cuentan que Ulises, harto de prodigios,
Lloró de amor al divisar su Itaca
Verde y humilde. El arte es esa Itaca
De verde eternidad, no de prodigios.
También es como el río interminable
Que pasa y queda y es cristal de un mismo
Heráclito inconstante, que es el mismo
Y es otro, como el río interminable.
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