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Je me suis faite belle dans mes habits usés,
Comme un jardin fleuri dans un village en ruine.

Ce landay écrit par des femmes pashtounes qui me tient lieu de portrait m'accompagne depuis de nombreuses années. Que cache-t-il et que révèle-t-il de moi? Ou plutôt que dit-il de ce que je veux (me) cacher ?
Quelle part de rêve ou de réalité y sont évoquées de même que dans les photos sur lesquelles je viens le poser? Ce n'est pas rien une photo surtout si elle est soigneusement choisie ; elle est toujours le reflet de l'idée que l'on se fait de la vie. Si je regarde mes albums de photos, ils sont la parfaite image de la femme que je suis.
Mon amant est collier à mon cou.
Il se peut que j'aille nue, mais sans collier, jamais !
Si les mots de ces femmes me touchent autant peut-être est- ce parce que...
"Fille véritable de la terre, la femme pashtoune semble croire que la mort est un simple retour aux choses élémentaires : au vent, à la poussière, à l'herbe, à l'eau, au feu. L'au-delà ne les hante pas. Il n'y a pas un seul landay féminin pour exprimer l'espoir ou la crainte d'un autre monde. En revanche, ce qui gouverne son profond désespoir, c'est de ne pas avoir suffisamment vécu, de ne pas avoir assez éprouvé sa beauté, sa jeunesse et les joies de l'amour. Ce qui la fait souffrir, ce n'est nullement l'angoisse d'un sort inconnu ou le remords des fautes commises, mais le regret de s'éteindre avec en elle la soif jamais étanchée du seul bonheur humain.
Sans illusion quant à une vie future, certaine que tout amour ici-bas est inéluctablement voué à l'échec et à la mort, la femme pashtoune se hausse par ses chants au rang d'une héroïne de tragédie. Son destin s'inscrit dans un espace immense mais que la loi des hommes a tissé d'interdits. Aussi nourrit-elle son image de ce qui ne peut lui être refusé : la nature qui l'entoure. Elle est simple et sans complexité, comme le dessin des plaines nues. Elle est pure, limpide et impétueuse, comme les torrents des vallées rocheuses. Elle est belle, imposante et dure, comme la montagne aux reflets bleus de l'Hindoukouch."
(fin de l'introduction au suicide et le chant, poésie populaire des femmes pashtounes de Sayd Bahodine Majrouh , traduit et présenté par André Velter)

Apprends à manger ma bouche !
Pose d'abord tes lèvres, puis force doucement la ligne de mes dents.

J'avais des bracelets, je ne les ai pas mis.
Désormais je rejoins mon amant sans parures, les bras nus

Les autres filles nouent des amours nouvelles,
Moi je recouds les lambeaux d'un amour ancien.

Si tu es fou d'amour pour moi
Tu ne goûteras pas la pulpe de mes lèvres.
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Je relis Terrasse à Rome de Pascal Quignard avec le même plaisir à chaque relecture, ainsi sont les Grands Textes qui jamais ne nous lassent ni ne s'épuisent

Meaume dit : « Il y a une nuit irrésistible au fond de l’homme. Chaque soir les femmes et les hommes s’endorment. Ils sombrent en elle comme si les ténèbres étaient un souvenir. C’est un souvenir. Les hommes croient parfois qu’ils s’approchent des femmes ; ils regardent l’expression de leur visage ; ils tendent leurs bras vers leurs épaules ; ils retournent vers leur corps chaque soir et ils se couchent contre leurs flancs ; ils ne s’endorment pas davantage ; Ils ne sont que les jouets de la nuit, menés en laisse par le scène invisible qui les a engendrés et qui porte son ombre partout et sur tout.

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Je tombe comme tombent les arbres et tombant je tombe comme les feuilles et légères les ombres tombent discrètement et je les entends pleurer et parler avec moi et je ne peux pas répondre pendant que je tombe car si je répondais que dirais-je sinon que je m'abats comme se sont abattus autrefois mon père ma mère mon mari soudain silencieux et immobiles et blancs comme la lumière dans cette maison si blanche au-dessus des meubles blancs les miroirs renvoient leur silence et leurs larmes et demain ils monteront avec moi là-haut et sans autres paroles que celles du prêtre ils tourneront mon visage vers le soleil.

Antonio Lobo Antunes - L'ordre naturel des choses

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Il est écrit sur le rabat de la couverture de" L'âme de Kôtarô contemplait la mer" que 
" L’été est long à Okinawa. Il y a une trentaine d’années, les enfants jouaient tout le temps dehors. Sans les poissons combattants qui ondulaient de leur longue queue bleue dans une eau claire jaillissant au milieu des rochers, ni les expériences de mon enfance entièrement plongée dans la nature, les forêts et les montagnes d’Okinawa, je pense que je n’aurais pas pu écrire ces histoires."

Étonnantes et fantastiques, les six nouvelles de
Medoruma Shun ne peuvent laisser indifférent . Le passé omniprésent, la nature, l'âpreté de la vie ne cessent de côtoyer le surnaturel.
""L'âme de Kôtarô contemplait la mer avec une expression rêveuse"(page 20) et nous, nous contemplons l'invisible telle une prêtresse kaminchu. " Tu sais quand je suis assise comme ça sur une des branches du ficus et que je regarde couler la rivière, plein de souvenirs me reviennent. Moi aussi, quand j'étais petite, comme toi, je contemplais la rivière, assise au pied de cet arbre. Autrefois, il y avait plus d'eau et les berges n'étaient pas bétonnées, les plantes foisonnaient sur les rives."(page 191)

L'âme de Kôtarô contemplait la mer,
MEDORUMA SHUN, Zulma


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" ... La beauté ne se réfléchit pas. C'est quelque chose que l'on ressent à la première vue, immédiatement, selon des modalités extrêmement simples. Et plus ces modalités sont simples, plus "l'effet" de la beauté doit avoir de force. Tu as lu le livre de Pater sur la Renaissance, n'est-ce pas ? D'après mon souvenir, il y est écrit que le plus artistique de tous les arts est la musique. E n somme, il n'y a pas plus direct, clair et simple que le plaisir apporté par la musique. Un poème, une peinture, aussi beaux soient-ils, comportent un minimum de sens. A l'inverse, quelque soit l'instrument, piano ou violon, la musique ne signifie absolument rien. On ne réfléchit pas avec la musique. On perçoit seulement qu'elle est belle. De ce point de vue, on peut affirmer que c'est la musique qui correspond le mieux à la définition de l'art."
Junichirô Tanizaki - Une mort dorée VII (Imaginaire Gallimard)


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Devant les dos bien alignés dans la bibliothèque la main hésite...tire, prend, repose. Un petit bégaiement de courte durée, les doigts connaissent le terrain, le savent fertile. Gailly, ses nouvelles encore !
Réparer une roue. Penser à un cadeau d'anniversaire. Confectionner un gâteau, etc. Bref, toujours aimer une femme. Ne pas rompre immédiatement. Tenter de la retrouver avant qu'il ne soit trop tard.

"Il faisait très chaud, 35 degrés sous abri. Je n'ai pas dit à l'ombre, j'ai dit sous abri. Je m'en doutais un peu, remarque, ça ne m'a pas surpris. À force de vivre, n'est-ce pas, on a l'habitude, on évalue la température de l'air. À un ou deux degrés près, on le sait, on est capable de dire combien il fait. Moi je pensais qu'il faisait 32 ou 33, jusqu'à ce que j'aille voir.
Je n'y suis pas allé exprès. Je me moquais bien de savoir exactement combien il faisait. J'ai lu 35 degrés sur le vieux thermomètre accroché dans la remise quand je suis allé chercher le marteau. La caisse à outils était sur l'établi, sous le thermomètre, alors j'ai regardé. Pour autant je n'ai pas eu plus chaud. Un gros marteau dont je ne me sers jamais.
Je n'ai d'ailleurs pas eu à m'en servir, ma seule force a suffi. Je dis ma seule force, je parle de ma force comme si, j'ai l'air de dire que, mais non. Plutôt modeste pour un homme de ma taille, ma force, néanmoins supérieure à celle de cette femme. En tout cas suffisante, car même supérieure elle aurait pu ne pas suffire. Elle a suffi. Mais je ne pouvais pas le savoir. Je suis donc allé chercher le marteau que la femme me demandait. Elle a sonné chez moi pour me demander ça.
Vous n'auriez pas un marteau ? me dit-elle. Elle avait chaud, les cheveux dans les yeux. Ses beaux gants blancs étaient pleins de cambouis, ça lui donnait un air courageux, j'ai pensé ça, je ne sais pas pourquoi. Elle n'avait pas hésité à les salir. C'est courageux. Et puis le fait d'en porter par cette chaleur, ce souci d'élégance vieux style, je dis souci, je devrais dire désir, ça m'a plu."
Christian Gailly
La roue : et autres nouvelles aux éd de Minuit


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«Plus le texte est court, plus il doit être en quelque sorte impossible de l'écrire autrement ; chaque terme doit être pesé et choisi, c'est comme de l'orfèvrerie» ­Bernard Quiriny.
"Là se trouve aussi le premier roman d'Enrique Vila-Matas, la lecture assassine. Le sujet : un livre qui tue ses lecteurs.
- Je rêve de posséder cette arme fatale, confesse Gould. Ce serait comme une capsule de cyanure dans ma poche, un révolver miniature que je porterais sur moi. Le jour où j'aurai la fantaisie d'en finir, j'irai dans le bar d'un grand hôtel, je choisirai un bon fauteuil, je commanderai un verre et je commencerai ma lecture.Les gens passeront autour de moi sans faire attention ; peut-être certains glisseront en silence pour respecter mon calme, ma paisible méditation littéraire.
Ils ne sauront pas que je suis en train de me suicider et que, à la dernière page du livre, je serai mort."
Une collection très particulière - VIII Sauveurs et meurtriers- Bernard Queriny - Nouvelles Seuil


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"Il me dit que comme une viole de gambe toute beauté, tout génie est au-delà du temps mais porte en soi un élément qui l'associe à son époque
mais elle doit parler de sa propre bouche
avec ses forêts et ses algues, ses courants et ses
larmes
avec ses poissons sans yeux
la grâce devient fille de l'air
elle oublie le pain, le sel, les allumettes
je ne sais pas vraiment si le moineau que
j'entends
est pour chaque oreille un signe de joie
je ne sais pas pourquoi
je ne sais pas s'il est venu avant
en cape noire
j'aurais lancé mes chaussures par-dessus
pour bien aller jusqu'au bout de sa légende
petit matin perdu dans le grand matin.

J'étais encore seul dans une ruelle."

Les déferlantes nocturnes, Actes à plusieurs voix - Carle Diaz
éd. Abordo

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"Avec mes dossiers pleins de lettres, de phrases et de
mots, je me suis rendu chez tous ceux chez qui le hasard de mon travail m’amenait : scieurs, charpentiers, cabinets d’expertise, négociants bois…"
Petite-fille, fille de forestier et de sylviculteur, je ne pouvais qu'être curieuse de rencontrer Pierre Dulbecco.
Nous avions rendez-vous hier soir à 19h à la librairie Olympique. Je crois pouvoir dire que les quelques uns (et unes) qui avaient fait le déplacement ont apprécié la spontanéité et la joie de ce passionné. Auto éditeur, c'était son baptême du feu, ses premières "vraies" ventes, alors ainsi qu'il l'a si bien dit au ... verre de rosé servi par Jean-Paul : "Je préfère rencontrer une dizaine de personnes curieuses qu'avoir affaire à un public de 200 personnes qui s'ennuient"Allez donc lui rendre une petite visite ici :https://sites.google.com/site/desmotsetdesbois/home

Octobre 2015



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Étranges sont les pleurs des humains... Étranges, dis-je ; mes propos de ce soir ne vous semblent-ils pas étranges, eux ? Pourtant si l'on y réfléchit, je n'exprime rien d'autre que les souhaits, les rêves de milliards d'êtres, depuis des milliers d'années. Femme, je naquis en ce monde telle une poésie lyrique, telle une larme...
Quand j'avais un amant, - vous, ô mon amant, - mes pleurs coulaient sur mes joues, le soir avant que je m'endorme.
Quand j'ai perdu mon amant, - vous, ô mon amant,- mes pleurs coulaient sur mes joues le matin après mon réveil.
Du temps où je dormais près de vous, je n'ai jamais rêvé de vous. Depuis que nous sommes séparés, je rêve presque toutes les nuits que je suis dans vos bras. Qu'il est triste, mon éveil matinal, alors que jadis ma plongée dans le sommeil, la nuit, était tellement heureuse que j'en pleurais...
Si, comme on le soutient, le cœur subsiste, dans le monde des esprits, par l'odeur et la couleur des choses, faut-il s'étonner que l'amour d'une femme devienne la substance de sa vie ?
Elégie -Yasunari Kawabata
trad S. Regnault-Gatier, S Susuki & H. Suematsu


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...
" Je rebandai mon visage avec autant de résolution qu'un plongeur qui revêt son scaphandre. Je n'avais pas assez de confiance, tout en découvrant les nids de sang-sues, pour surmonter le silence.
Je regagnai notre salle de séjour, à pas feutrés, l'air absent, comme pour cacher ma tension intérieure. Tout en faisant semblant de lire le journal, de côté je te regardais aller et venir entre la salle et la cuisine. Tu ne souriais pas ; mais ta mine étrangement insouciante était comme prête à sourire. Tu passais d'un geste à l'autre comme sur des roulettes. Tu n'en es sans doute pas consciente, mais tu as une mine vraiment étrange. Peut-être le premier motif pour lequel je t'ai demandé en mariage était-il le charme de cette expression.
(L'ai-je déjà écrit ? Mais cela importe peu de le répéter.Car ce fut comme l'éclair d'un phare pour moi qui étais à la recherche du sens de l'expression. En écrivant ceci, c'est avant tout cette expression de toi dont il me souvient. Au moment où elle passe de l'impassibilité au sourire quelque chose étincelle soudain en elle et tous ceux qui ont été baignés de cette lumière ont la conviction d'avoir été comme confirmés dans leur existence. )"
[l'ultime phrase du texte ]
"Rien d'autre ne sera plus écrit. L'acte d'écrire n'est sans doute nécessaire que lorsqu'il ne se passe rien."

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Les abeilles - Yôko Ogawa (1990)


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Tu es assise à la fenêtre
et il neige  -
 tes cheveux sont blancs
et tes mains  -
mais dans les deux miroirs
de ton visage blanc
l'été dure encore :
terre pour les prairies enlevées dans l'invisible -
abreuvoirs pour les chevreuils à la nuit tombée.

Mais éplorée je sombre dans ta blancheur,
dans ta neige-
dont la vie tout bas s'éloigne
comme après une prière dite jusqu'au bout -

Ô m'endormir dans ta neige
avec toute la souffrance dans le souffle en feu du monde.

Tandis que les délicates lignes de ta tête
sombrent déjà dans la nuit océane
vers une nouvelle naissance.

Eclipse d'étoile, dans le secret - Nelly Sachs
     

                                                                       ******

"J’ai éprouvé cette grande loi de la lecture, que le livre ne se donne pas si on le parcourt. Il faut s’abandonner complètement à lui, esprit comme corps, esprit plongeant dans les pages comme la tête »
« Mon contradicteur, mon frère. On pourrait imprimer un avertissement au dos des livres : «Attention ! Les lectures qui vont trop dans le sens de vos pensées ou de vos goûts peuvent être dangereuses. »
« Pourquoi lire ? » de Charles Dantzig (Grasset)

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"La "civilisation" avait pris possession des Solitudes, et de ce jour les Solitudes se transformèrent en un pays barbare. Ce fut le beau temps de ce qu'on nomme "Le grand Far West romantique" dans les nouvelles et les poèmes.
Et l'arbre qui voyait toutes ces choses, demeurait impassible.
...
Un écureuil rouge traversa la chaussée en courant ; il portait une pomme de pin entre ses dents. Il la posa quelque part sur la prairie, et, l'instant d'après, l'oublia. "
L'arbre - Grey Owl éd Souffles

C'est peu dire que Grey Owl fut un des premiers naturalistes écologistes et qu'il possédait un beau talent de conteur poète.Ces récits sauvages et dramatiques d'un monde adopté et aimé au tournant de son histoire augurent des bouleversements écologiques que nous vivons.
L'homme a tant perdu à ne plus vivre en harmonie avec la nature!
Lire ses récits en est la preuve la plus simple et la plus flagrante.

http://floraweb.onf.ca/empreintes/terminologie-et-concepts/concepts.html?part=2&view=740410
http://theses.ulaval.ca/archimede/fichiers/23973/ch05.html
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"Une petite colonne de cendres tombe de ma cigarette. Je compte dans ma tête le nombre d'hommes que j'ai fréquentés, je tente de me rappeler le visage de chacun. S., K., H., T., M., Y... Au bout d'un moment, je murmure : « Peu importe ». Chaque fois que je jette un regard sur mon passé, je réalise que Shôji y occupe toujours la place la plus importante"
Aki Shimazaki Hôzuki

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Encore l'idée plus que la chose, l'idée qui m'est si chère, l'idée par ce grand chorégraphe dont j'admire le travail.

"Malheureusement, j'ai beaucoup de projets qui ne se sont pas matérialisés et que je ne pourrai pas matérialiser. Peut-être ma vie tient-elle davantage aux choses que je n'ai pas faites qu'à celles que j'ai faites. Parce que les premières sont beaucoup plus belles et beaucoup plus profondes que les secondes."
Jiří Kylián Bon qu'à ça (P.29, entre la vie et la mort)
Éditions du Sonneur
Collection ce que la vie signifie pour moi







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Dans le monde il y a différentes teintes de bleu, allant du terrible au tendre, j’ai peur d’en expérimenter les tiédeurs, si bien calibré je voudrais toujours frapper au cœur sans jamais traîner mon couteau dans les muscles de l’animal / dans le monde certaines forces veulent qu’on s’amenuise comme des continents érodés par la mer, qu’on s’éclipse au sein d’une grand-mémoire aveugle et intouchable / dans le monde tous les médicaments imaginables ne suffiraient à survivre une seule seconde, heureusement le bleu suffit, le bleu du ciel
Antoine Dumas, Au monde inventaire, les éditions du passage, 2015

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...
" On s'accroche le plus longtemps possible à l'idée que les choses pourraient être ce qu'il faudrait qu'elles soient, ce qu'on voudrait qu'elles soient quand on y rêvait. Alors on se contente qu'elles en aient l'air. Ça suffit au début, ça suffit longtemps, toute une vie parfois. C'est tellement dur de renoncer."
....
Des carpes et des muets (p118) Ed du Sonneur
Edith Masson







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" Les idées aussi se fatiguent (ou fatiguent). Je me souviens par exemple que j'avais autrefois toutes sortes de théories sur la servitude volontaire, La Boétie, TE Lawrence, etc. Maintenant, je n'y pense même plus. J'ai longtemps rêvé de posséder la grande édition anglaise de Seven Pillars, illustrée par l'auteur. Mais je n'avais pas un sou.Plus tard, je l'ai trouvée chez un libraire d'ancien et j'avais en poche de quoi l'acheter. Mais j'avais cessé de m'y intéresser.
La contradiction la plus radicale et la plus cruelle est l'oubli.
Le temps nous impose des choix de plus en plus étroits, et à la longue irréversibles [...] Le silence a plus de force subversive que n'importe quelle parole, n'importe quel écrit. Pour Marcel Arland "l'audace la plus rare n'est pas la destruction, c'est l'abstention ; une violence plus grande que dire : non, c'est le silence".
Roger Grenier - Le palais des livres, S'en aller


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"J'habite au bord du monde, ou plutôt, non, pas exactement, j'habite au bord de rien, au bord de l'abîme, j'habite là où le monde n'est rien. Pour moi, ce qu'on appelle le monde se réduit à ça : rien. J'habite au bord de moi, car celui qui m'habitait n'est plus de ce monde."
Avis de démolition - Frédéric Monlouis-Félicité
nouvelles - arléa - janvier 2010





Pétales et autres histoires embarrassantes
Guadalupe Nettel- Trad Delphine Valentin. Actes Sud.
Je n'ai pu en lisant les six nouvelles m'empêcher de penser que Guadalupe pourrait bien être la cousine sud-américaine de Yoko (Ogawa).
Ptôse et son univers fétichiste, Bonsaï et son basculement, Bézoard et son univers psychiatrique...
Je ne regrette pas le hasard qui a mis ce volume dans ma main sur un marché toulousain.
Cerise sur le pétale, la citation [ "Etres imparfaits vivant dans un monde imparfait, nous sommes condamnés à ne jamais connaître que des miettes de bonheur." La Tentacion del fracaso ] sur la première page m'a projetée dans l'univers de Julio Ramon Ribeyro.
Mais cela est une autre histoire... (Proses apatrides en lecture)






...
"Je veux dire qu'il n'a pas à se mettre en colère

parce qu'il a pris pour argent comptant ce qu'une fille a lancé à la légère, vous n'êtes pas d'accord avec moi ?" ai-je demandé. Masayo, l'air pensif, est restée un moment plongée dans ses réflexions. Puis, sans quitter son air grave, elle m'a répondu :
"Tant qu'on a entre vingt et trente ans, une fille, ça passe, je suis d'accord."
je ne voyais pas très bien où elle voulait en venir.
"A partir de trente ans, je me demande si on peut toujours utiliser ce mot en parlant de soi..."
Moi qui espérais qu'elle réfléchissait sérieusement, c'est tout ce qu'elle trouvait à dire.
Je ne vois pas où serait le mal, si c'est de cette façon qu'on se voit, ai-je bougonné.
"Et à partir de cinquante ans, alors ? Qu'en est-il ?" a-t-elle demandé avec un air de plus en plus sérieux.
Cinquante ans ? Dur ! A partir de cet âge, je crois qu'on peut dire une femme, non ?
"C'est vrai, à partir de cinquante ans, il ne faut pas exagérer", a dit Masayo en soupirant.
Un client est entré, un habitué avec les cheveux blancs, une vraie crinière. C'est l'idéal des cheveux comme ça ! Bien mieux que de les avoir rares et noirs, ou encore poivre et sel et à moitié chauve ! avait soupiré une fois M. Nakano avec envie.
...
La brocante Nakano - Hiromi Kawakami




Parmi ces livres ouverts et réouverts, celui de Gérard Macé a une place à part car, ainsi qu'il l'écrit en préambule "l'une de nos tâches les plus ardues, mais les plus nécessaires, consiste à s'approprier ce qui nous est le plus familier. Chacun à sa façon, avec des détours qui lui sont propres.
"Les labours sont ici plus prosaïques, mais c'est pourtant dans ce lieu sans artifice (où les nuages de la rêverie sont lourds d'un passé proche) que je retrouve la même émotion que devant les jardins secs de Kyôto : la mémoire où grandissent les morts a le même orient que les jardins où l'on écoute grandir les pierres, - le même immense territoire dans un espace pas plus grand que le cœur".

Gérard Macé p. 98-99, Un détour par l'Orient, éd le Promeneur
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"Il me dit que son livre s’appelait le Livre de Sable, parce que ni ce livre ni le sable n’ont de commencement ni de fin. Il me demanda de chercher la première page. Je posai ma main gauche sur la couverture et ouvris le volume de mon pouce serré contre l’index. Je m’efforçai en vain : il restait toujours des feuilles entre la couverture et mon pouce. Elles semblaient sourdre du livre.
— Maintenant cherchez la dernière.
Mes tentatives échouèrent de même ; à peine pus-je balbutier d’une voix qui n’était plus ma voix :
— Cela n’est pas possible.
Toujours à voix basse le vendeur de bibles me dit :
— Cela n’est pas possible et pourtant cela est. Le nombre de pages de ce livre est exactement infini. Aucune n’est la première, aucune n’est la dernière. Je ne sais pourquoi elles sont numérotées de cette façon arbitraire. Peut-être pour laisser entendre que les composants d’une série infinie peuvent être numérotés de façon absolument quelconque."
Jorge Luis Borges Le Livre de sable
Traduction Françoise Rosset

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AKUTAGAWA, La vie d'un idiot



« Pour devenir poètes, il faut être possédé. On ne peut être poète qu'en risquant sa vie pour le salut de la vérité, de la beauté et du bonheur. Si tu ne vois que ce qui est devant ton nez et possèdes un coeur de petite souris, alors restes-en là. Veux-tu toujours jeter la pierre au poète, ou veux-tu devenir poète ? »

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pas d'inquiétude

on ne va pas se genêt

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allée et venue

oublier l'arbre